Cour des comptes : près de la moitié des sans-abris de 18 à 25 ans sont des anciens de l’ASE

La Cour des comptes estime qu’il est « déterminant » d’améliorer l’accompagnement des jeunes majeurs pour prévenir des « situations dramatiques ». En effet, « près de la moitié des sans-abris de 18 à 25 ans » sont des anciens de l’ASE, souligne l’institution financière, dans son rapport public annuel publié mercredi 19 mars et consacré cette année aux politiques en faveur des 15-25 ans.

23 % des personnes hébergées par un service d’aide ou fréquentant un lieu de distribution de repas étaient, en 2012, d’anciens enfants accueillis par l’aide sociale à l’enfance, alors que ces « anciens de l’ASE » ne constituent que 2 % de la population générale.

« De nombreuses enquêtes ont mis en évidence les difficultés rencontrées après prise en charge et particulièrement les effets défavorables des « sorties sèches » de l’ASE (c’est-à-dire sans accompagnement) à la majorité, sans perspective d’insertion sociale et professionnelle », souligne la Cour des comptes qui pointe un accompagnement « disparate » de ces publics en fonction des départements.

Avec la mise en œuvre de contrats jeunes majeurs, « dans la plupart des départements, les services de l’ASE ont développé de longue date des dispositifs et des modalités de suivi, parfois innovantes, afin de limiter ces effets de rupture et leurs conséquences à long terme et pour mieux accompagner les sortants de l’ASE sur la voie de l’autonomie, avec un succès notable dans un certain nombre de cas. ».

Par ailleurs, des initiatives ont visé à renforcer les objectifs d’accès à l’autonomie des jeunes majeurs issus de l’ASE par les départements :

  • La stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté pour les années 2018 à 2022 a notamment cherché à lutter contre les « sorties sèches » sans solution
  • La loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants a défini un droit opposable à l’accompagnement dont peut se prévaloir tout jeune majeur de 18 à 21 ans issu de l’ASE.

« Des questions nouvelles ont alors émergé : les départements ont-ils adapté leurs pratiques et le soutien financier de l’État, prévu par la loi, est-il suffisant ? Le dispositif permet-il effectivement de mieux accompagner les jeunes majeurs vers l’autonomie ? Les jeunes concernés sont-ils informés de leur droit ?

Afin de répondre à ces questions, la Cour et sept chambres régionales des comptes ont conduit une enquête auprès de services de l’État et de quatorze départements (dont le Val d’Oise) reflétant la diversité des situations territoriales. Il en ressort que la prise en charge des jeunes majeurs s’est progressivement améliorée depuis plusieurs années (I).

Toutefois, la loi du 7 février 2022 n’a pas comblé les lacunes persistantes des dispositifs, et la diversité des modes d’accompagnement et des moyens engagés selon les territoires demeure importante (II). Le pilotage des dispositifs mis en œuvre est souvent insuffisant, ainsi que l’accès au droit commun pour les jeunes sortant de l’aide sociale à l’enfance (III) ».

En France, en 2023, près de 397 000 mineurs et jeunes majeurs en danger font l’objet d’une mesure de protection dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance (ASE). 221 000 d’entre eux sont accueillis et hébergés, dont près de 31 900 jeunes majeurs.

Les anciens mineurs non accompagnés (MNA) : un public spécifique

La cour des comptes souligne notamment la situation particulière des anciens MNA.

Fin 2023 près de 16 700 anciens MNA bénéficiaient en France d’une prise en charge en tant que jeune majeur fin 2023. Ils représentent près de la moitié des jeunes majeurs pris en charge dans plusieurs départements et notamment, au sein de l’échantillon des départements contrôlés dans le cadre de l’enquête, ceux du Val d’Oise et des Bouches-du-Rhône.

« De nombreux départements ont aménagé les prises en charge afin de mieux les adapter aux problématiques de ces jeunes que les modes d’intervention habituels de l’ASE, tout en étant souvent moins coûteuse. Plusieurs départements retiennent ainsi, pour ces publics, des durées de contrats plus courtes que la moyenne.

Le « contrat » est souvent organisé autour de formations qualifiantes brèves, sur quelques mois, afin que ces jeunes acquièrent rapidement leur autonomie financière.

[…]

La loi du 7 février 2022 entendait par ailleurs inciter les services départementaux à anticiper la question de la régularité du séjour, une fois que les bénéficiaires ont atteint la majorité. L’article L. 222-5-1 du code de l’action sociale et des familles modifié par l’article 16 de la loi prévoit ainsi que l’entretien se tenant un an avant la majorité doit permettre d’informer les mineurs non accompagnés de la possibilité de bénéficier d’un accompagnement dans leurs démarches d’obtention d’une carte de séjour ou de dépôt d’une demande d’asile.

Depuis peu, les départements peuvent, en application de la loi « immigration » du 26 janvier 2024, exclure des dispositifs « jeunes majeurs » les anciens MNA pris en charge par l’ASE lorsqu’ils font l’objet d’une obligation de quitter le territoire français. Parmi les départements examinés dans le cadre de l’enquête, le Val-d’Oise, l’Essonne et la Seine-et-Marne affirment appliquer cette exclusion », souligne la Cour des Comptes.

Un accès au droit commun à renforcer

Des points noirs restent à relever sur le plan de l’accès au droit commun, notamment en matière de logement, constate la Cour des comptes. En effet, bien que la loi du 7 février 2022 ait ajouté les jeunes majeurs dans la liste des publics prioritaires pour l’accès au logement social, « les jeunes issus de l’aide sociale à l’enfance se heurtent à des obstacles multiples, d’ordre financier, mais aussi administratif. Certains bailleurs ne prennent pas en compte les spécificités liées à leur situation ».

« Pour répondre à ces difficultés d’accès, les départements ont recours à des solutions de logements semi-autonomes. Les foyers de jeunes travailleurs jouent un rôle central dans de nombreux départements, mais plusieurs limites sont identifiées, notamment le coût élevé de ce type d’hébergement. Des offres alternatives, comme l’intermédiation locative ou le bail glissant, se développent pour faciliter l’accès des jeunes majeurs à un logement. Une convention partenariale pour favoriser l’accès des jeunes au logement est en cours d’élaboration entre l’association Départements de France, l’Union sociale pour l’habitat, l’Association pour la formation professionnelle continue des organismes de logement social, l’Union nationale pour l’habitat des jeunes et l’Union nationale des comités locaux pour le logement autonome des jeunes ».

L’enjeu de l’insertion : des cloisonnements persistants dans certains territoires

La loi du 7 février 2022 dispose qu’un contrat d’engagement jeune (CEJ) « est systématiquement proposé » aux majeurs âgés de moins de 21 ans pris en charge au titre de l’ASE ds le cadre d’une mesure de placement. Depuis le 1er mars 2022, le CEJ, qui s’est substitué à la garantie jeunes, concerne les jeunes de 16 à 25 ans sans emploi ni formation (16 à 30 ans pour ceux d’entre eux qui sont en situation de handicap).

« La loi ne précise pas à qui incombe la responsabilité de l’information et de l’orientation du jeune (services départementaux de l’ASE, missions locales ou services sociaux). L’action menée en direction de ces jeunes repose ainsi sur la qualité des coordinations mises en œuvre localement. L’interprétation stricte des conditions d’entrée dans le CEJ, comme la démarche de contractualisation retenue entre le conseiller d’insertion et le jeune (qui s’accompagne de sanctions en cas de non-assiduité), constituent cependant autant d’obstacles à l’accompagnement des jeunes sortants de l’ASE ayant des difficultés éducatives, sociales et familiales importantes, ou étant durablement empêchés.

Face aux difficultés prévisibles d’accès des jeunes issus de l’ASE au contrat d’engagement jeune, plusieurs expérimentations sont en cours pour mieux prendre en compte les freins à l’insertion de ce public. La circulaire du 22 avril 2022 relative à la mise en œuvre du contrat d’engagement pour les jeunes en rupture prévoit ainsi un nouveau dispositif ayant une vocation de « sas » vers le CEJ.

Certains départements de l’échantillon considèrent que le CEJ est inadapté à l’insertion professionnelle des jeunes issus de l’ASE. Dans la plupart des cas, l’absence d’identification des jeunes suivis par l’ASE dans le système d’information et de partage de l’information ne permet pas d’établir un bilan de l’utilisation de ces outils pour le public ASE. D’une manière générale, la Cour recommande aux départements de renforcer leur coopération avec les missions locales afin d’éviter les ruptures de parcours pour les jeunes majeurs de l’ASE qui doivent poursuivre un parcours d’insertion socio-professionnelle. L’association Départements de France fait valoir sur ce point la signature, le 8 octobre 2024, d’une convention-cadre avec l’Union nationale des missions locales visant à renforcer leur partenariat.

Par ailleurs, la plupart des départements de l’échantillon ne mettent pas en œuvre de dispositifs spécifiques s’adressant plus particulièrement aux jeunes majeurs issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et des zones rurales délaissées. »

En conclusion

Les magistrats recommandent notamment de « renforcer les coopérations avec les missions locales pour garantir l’accès des jeunes majeurs aux dispositifs d’insertion sociale et professionnelle » et préconisent de « définir des objectifs de prise en charge minimale ».

« Quelles que soient les difficultés budgétaires auxquelles notre pays est confronté, il reste indispensable de préparer son avenir, qui repose sur ses jeunes », défend la Cour des comptes formule dans son rapport annuel. Les politiques publiques en faveur des jeunes ne « sont pas seulement une réponse à des besoins immédiats », souligne l’autorité financière, elles « constituent aussi un investissement stratégique ».

Cour des comptes : près de la moitié des sans-abris de 18 à 25 ans sont des anciens de l’ASE
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